Thérapie de Manon : trauma, deuil et chemin de guérison

L’histoire de Manon démontre à quel point le temps d’écoute et la disponibilité du praticien sont fondamentaux au cours d’une thérapie. 

Cette jeune femme a vécu un évènement traumatisant, et ne trouve pas d’issue à souffrance. Ce n’est pas faute d’avoir consulté. 

Manon avait seulement besoin qu’on lui accorde du temps et de l’attention pour libérer sa parole.  

A la rencontre de Manon : découverte de son histoire et de son long parcours médical

Manon a trente ans et pousse la porte de mon cabinet pour la première fois parce qu’elle n’en peut plus. Elle ne supporte plus ses angoisses, son obésité, son mal-être. Parfois, elle a envie d’hurler, pour qu’on entende sa souffrance. Pourtant, elle est entourée. Elle a un conjoint attentionné et avec qui elle se sent heureuse. Ses parents sont très gentils et présents pour elle. Quand ça ne va pas, la seule personne à pouvoir lui apporter de l’apaisement est sa mère. Elle seule trouve les mots qui lui font du bien : « ne t’inquiète pas, ça va aller ».

Manon a-t-elle déjà consulté ? Oh que oui ! Elle est suivie en psychiatrie depuis douze ans. Tout a basculé dans sa vie quand elle avait dix-huit ans, quand sa grand-mère, qu’elle adorait, est morte sous ses yeux. Impossible pour elle d’enlever l’image de ce regard que sa Mamie a eu au moment de sa mort. Elle en fait des cauchemars.

Quand la prise en charge devient traumatisme

A la suite de ce choc, elle a été hospitalisée dans un hôpital psychiatrique. C’est une expérience qui l’a traumatisée, elle s’est retrouvée dans un pavillon où elle côtoyait des patients psychotiques qui l’effrayaient. Alors on lui a proposé d’intégrer une clinique privée, spécialisée dans la thérapie pour risques suicidaires. Elle y reste un an, et prend de nombreux traitements. Avec 14 médicaments par jour, elle est devenue un légume, dit-elle. Le pire, elle se sent toujours aussi mal.

Manon me raconte son histoire sans l’ombre d’une émotion. Ses yeux fixent un point vers le bas pendant qu’elle me parle. Elle est là, elle répond à mes questions. Mais elle me donne le sentiment qu’elle n’est pas totalement présente. Elle est complètement déconnectée d’elle-même.  

Elle a vu des psychiatres, des psychologues. Visiblement, elle n’a pas accroché, elle me dit elle avoir eu du mal à livrer avec eux. Parce qu’ils ne lui laissaient pas le temps au cours des séances de thérapie, parce qu’ils ne lui posaient pas de questions, parce qu’elle avait l’impression de les déranger et de leur faire perdre du temps.

Sismothérapie : la thérapie ultime ?

C’est alors qu’on lui parle de sismothérapie. La sismothérapie, encore appelée électroconvulsivothérapie (ECT), est une stimulation électrique du cerveau, par le biais d’électrodes, qui produit une crise convulsive de courte durée. C’est le même principe que les électrochocs utilisés autrefois. Ce qui change aujourd’hui tient aux modalités, puisque le patient est sous anesthésie générale pendant l’intervention qui dure environ un quart d’heure.

Il s’agit d’un traitement qui est prescrit notamment dans les dépressions majeures et le risque suicidaire. Lors de la crise provoquée par le courant, une sorte de crise d’épilepsie, le cerveau va sécréter les différents neurotransmetteurs et neurohormones utiles pour les troubles de l’humeur. Il le fait par réflexe de défense et de survie. 

(Pour plus d’informations sur la sismothérapie, cliquez ici)

L’angoisse du traitement

Manon a peur, mais elle n’en peut plus, alors elle se dit « et pourquoi pas ? ». Elle commence ses séances de thérapie par ECT. Malheureusement, au cours de l’une d’elles, elle ressent un manque d’oxygène au cours d’une séance, alors qu’elle est sous anesthésie.

Depuis, elle craint que ça ne recommence. Elle s’imagine mourir pendant une séance, ou bien se réveiller en plein milieu. 

Un peu comme les enfants comptent les « dodos », elle compte les jours qui la séparent de la prochaine séance. Avec la panique que cela génère, elle a envie d’arrêter ces séances. Mais elle se dit qu’elle ne s’en sortira jamais de sa souffrance. Que lui restera-t-il comme solution ?

médecin qui utilise des appareils de thérapie par ect

Un bilan mitigé

Elle a déjà effectué trente séances. Selon la psychiatre qui la suit, ils ont fait « le plus gros », il ne reste que quelques séances de consolidation. Pourtant, elle a toujours cette souffrance en elle. Et elle a honte de ne pas aller bien. Il y a aussi la honte de ce corps en obésité stade 3 selon l’évaluation des spécialistes. Elle a pris 40 kilos depuis le début de cette dépression profonde, et elle sait que ses traitements sont la cause de son surpoids, et son psychiatre le reconnaît. Manon a envie de mourir, elle le dit sans détours. « Tout est planifié dans ma tête, il me manque juste un petit truc pour que je trouve l’élan de passer à l’acte. Je ne suis pas en sécurité avec moi-même ».

Elle dit tout cela calmement, avec une certaine neutralité, comme si elle me parlait d’un sujet aussi banal que la météo de la veille.

Devant mes yeux écarquillés quand je l’entends dire que la sismothérapie lui a fait du bien, elle sourit. « Ah oui, vous devez vous demander comment j’étais avant alors ?! ». Oui, en effet, je m’interroge sur l’état de détresse avant les séances, quand j’entends qu’après cette amélioration, elle exprime encore si clairement son envie de mourir…

Identifier la problématique

Il paraît bien évident que Manon est dans une situation de stress post-traumatique, elle a vu sa grand-mère mourir sous ses yeux. La vision de cette mort brutale, l’image des yeux exorbités de sa grand-mère, lui reviennent sans arrêt par flash.

Est-ce suffisant pour déterminer un axe de thérapie?

Puis-je apporter quelque chose à Manon sur cette seule base ?

Il existe des techniques spécifiques pour traiter les séquelles de traumatismes comme celui de Manon, et je pense alors recourir à ma technique de thérapie par les mouvements oculaires.

Mais… il y a un « mais ». Manon a déjà expérimenté des séances d’EMDR à l’époque où elle était en clinique. Son souvenir est très vague. Elle ne se souvient pas bien du sujet précis sur lequel avaient porté ces séances. Il lui est impossible de dire si ça lui avait apporté quelque chose. A vrai dire, depuis les séances de sismothérapie, elle a d’importantes pertes de mémoire. C’est donc difficile de retrouver des souvenirs qui datent d’il y a plus de dix ans.

Mais il y a une chose qui semble certaine pour elle, c’est que si ça lui avait apporté quelque chose, elle n’aurait pas connu une telle descente aux enfers.

Jeune femme qui a besoin d'une thérapie, assise devant une table avec des médicaments devant elle

La condition essentielle pour l'efficacité de la thérapie

J’ai alors un sentiment étrange.

Il y a un paradoxe. Manon me dit qu’elle n’a jamais vraiment raconté son histoire à qui que ce soit. Dans le même temps, on lui a proposé des techniques de résolution de traumatismes. Son histoire était donc connue des services où elle a séjourné. 

J’en déduis qu’elle a probablement expliqué dans les (très) grandes lignes le choc du décès de sa grand-mère. Mais qu’il a manqué quelque chose pour qu’une technique de réparation puisse être efficace. Car la meilleure des techniques ne donnera jamais aucun résultat si nous n’agissons pas spécifiquement au bon endroit. Et trouver le point stratégique demande du temps, de l’investissement, et des techniques d’exploration appropriées.

Explorer le trauma : les techniques de psychothérapie

Je me dis alors que je dois en savoir plus, et je ressens, au fond de moi, qu’il manque un élément, peut-être plusieurs d’ailleurs, pour que l’on puisse agir efficacement. C’est dans l’exploration que les réponses pourront émerger. Une conviction est là : Manon a toutes les clés en elle, autant celles de la compréhension que celles de la résolution.

Les cauchemars de Manon : la clé de sa thérapie

Je demande alors à Manon de me raconter ces cauchemars qu’elle a mentionnés au tout début de la thérapie. Elle me raconte alors qu’elle voit le visage de sa grand-mère, avec ce regard qui exprime l’horreur. Et dans ses cauchemars, ce regard est méchant. Et sa grand-mère lui parle. Plus précisément, elle lui dit : « Tu m’as tuée, c’est ta faute ».

Nous évoquons alors toute la culpabilité de Manon. Et elle m’explique en détail ce qui s’est passé ce jour-là. Elle était en train de donner un goûter à sa grand-mère. Elle a commencé à lui donner de l’eau gélifiée, à la petite cuillère. Et là, sa grand-mère a vomi, un liquide noir, et en quelques secondes, elle n’était plus.

Manon se dit que si elle n’avait pas donné ce goûter, sa grand-mère serait en vie.

Le soutien familial n’est pas une thérapie

Toute sa famille lui a répété : « ce n’est pas ta faute, ça aurait pu tomber sur n’importe lequel d’entre nous, tu n’y es pour rien ».

Mais Manon affirme que tous ces « blablas » n’arrivent pas à la convaincre. Elle ne peut s’empêcher de penser qu’il n’aurait peut-être pas fallu que ce soit elle.

Les cauchemars de Manon nous ont permis de tirer une piste importante dans la compréhension de ce qui s’est joué pour elle. Un peu comme on tire sur un fil de laine qui dépasse d’une pelote complètement emmêlée, je choisis de suivre ce fil et tente de dérouler.

Jeune femme qui fait un cauchemar, dont on parlera au cours de sa thérapie

Le contexte du trauma

Sans être médecin, j’imagine les raisons possibles de la mort de sa grand-mère. Je me dis aussi que cette dame devait déjà être dans un état de santé très délabré pour devoir prendre de l’eau gélifiée. Je demande alors à Manon si elle sait quelle est la cause exacte de la mort de sa grand-mère.

Non, elle ne sait pas.

Je lui demande alors si, à l’époque, elle savait ou avait compris que sa grand-mère était en fin de vie.

Non plus.

Manon est troublée par mes questions, elle ne se les était jamais posées. Elle a 30 ans aujourd’hui, et elle saisit qu’elle n’était pas du tout consciente de la réalité de la situation à ce moment-là. Elle réalise également, qu’aussi dingue que ça puisse paraître, elle ne sait pas de quoi sa grand-mère est morte.

Vieille dame dans un fauteuil roulant

Identifier les éléments traumatiques 

Je comprends alors que ce qui a participé au trauma tient au manque d’informations, et au manque de préparation. La mort a été d’autant plus violente et brutale qu’elle ne s’y attendait pas. Elle était jeune, elle avait 18 ans, et qui plus est, elle était tellement proche de sa grand-mère et attachée à cette figure de son enfance. Elle avait probablement occulté le risque de mort prochaine, un déni qui a rendu l’évènement de la mort bien plus difficile. De prévisible dans la réalité, la mort a été vécue comme un évènement absurde, violent et insensé dans la tête de la jeune Manon.

Et sans explications précises de la part d’une personne qui a autorité dans le domaine médical, elle était restée dans l’absence de raisons pouvant expliquer ce décès. Je lui ai sur ce point suggéré d’aborder ces questions avec le médecin qui a établi le certificat de décès. Ramener des éléments vérifiés, objectifs et surtout argumentés, par une personne compétente aura bien plus de poids que les phrases de sa famille. Les « mais non tu n’y es pour rien », « ça aurait pu être moi ou ta tante », c’est gentil, mais ça ne convainc pas.

Analyse de séquences en thérapie

En utilisant l’analyse de séquences, une des techniques de PNL, je propose à Manon de revenir sur l’enchaînement des éléments se sont produits ce jour-là. Elle a ce courage et cette force de replonger dans le souvenir traumatique.

Je lui fais cette proposition parce que je pense qu’une part d’elle sait très bien qu’elle n’y est pour rien. Mais visiblement une autre part d’elle estime que c’est le cas, et j’en cherche la raison.

Et là, c’est la révélation.

La raison du deuil impossible

Ce qui a conduit Manon à considérer qu’elle était responsable de la mort de cette femme qu’elle aimait tant, c’est qu’elle a posé une action, elle a porté un geste, celui de mettre la cuillère dans sa bouche. Ce n’était que de l’eau, mais ce geste a été immédiatement suivi de la mort de sa grand-mère.

Elle reconnaît alors que si sa grand-mère était décédée en face d’elle, sans qu’elle ait fait quoi que ce soit, alors il n’y aurait pas eu un tel traumatisme. Aujourd’hui sa grand-mère lui manquerait, mais elle irait bien. Oui, bien sûr, elle aurait été choquée par cette scène tragique et, il faut bien le dire, horrifiante. Mais elle n’en aurait pas eu de culpabilité, elle aurait pu faire son deuil.

Finalement, c’était ça le nœud du problème : c’est elle qui a mis cette cuillère dans la bouche de sa grand-mère.

Pour la première fois, Manon me regarde, et pleure doucement.

Ses larmes coulent encore lorsqu’elle ajoute « c’était peut-être son heure. Et peut-être c’est arrivé avec moi parce qu’elle m’attendait pour partir. On était tellement proches toutes les deux. »

Jeune femme qui tient une petite cuillère, c'est une scène centrale dans sa thérapie

Conclusion sur la thérapie en général

Le déroulement de cette séance pourra paraître cousue de fil blanc, et la conclusion d’une évidence absolue.

En vivant cette séance, je vous avouerai que ce n’était pas si limpide pour moi au premier abord. Et pour Manon encore bien moins, je crois. Je ne savais pas quel était l’élément (ou les éléments) constitutif précis du trauma. Il était tentant de partir sur la vision d’horreur qui crée le traumatisme.

C’était plus complexe que cela, il s’agissait d’une conjonction de plusieurs éléments. L’ignorance quant à l’état de santé de sa grand-mère, le déni de sa mort possible, et cette analyse inconsciente par l’enchaînement des séquences : « j’ai fait une action, et tout de suite après ma grand-mère est morte. Je suis donc coupable parce que j’ai fait quelque chose ».

Avoir ces précisions a permis à Manon de comprendre ce qui se jouait en elle, et ça a été visiblement libérateur pour elle. Elle en a exprimé beaucoup de gratitude.

Techniques et précision

Pour conclure, je dirais que la précision est un maître mot dans notre métier. Devenir praticien en psychothérapie nous demande de ne jamais nous contenter de grandes lignes. C’est pourquoi, dans notre formation en psychothérapie, nous mettons l’accent sur une pratique concrète et l’utilisation de techniques qui permettent justesse et précision.

Nous n’avons pas à deviner, ce serait bien difficile, mais nous pouvons nous appuyer sur des outils qui permettront au patient de faire émerger toutes les clés de compréhension et de résolution. Ces techniques et outils font partie de notre formation psychopraticien.