Le développement personnel est entré dans les mœurs, bon nombre de préceptes font désormais partie de notre quotidien, et fleurissent sur les réseaux sociaux, à grand renfort de jolies citations.
Parmi eux, nous retrouvons un grand classique : il faut pardonner. Tout comme nous devons demander pardon pour les fautes que nous avons commises.
Et là, je dis « oui, mais… ».
Lorsqu’on souhaite se faire pardonner, il est important de se placer du point de vue de la personne dont on espère le pardon. De quoi a-t-elle besoin pour donner ce signe de paix ?
Dans quelle mesure sommes-nous en mesure d’offrir un pardon sincère ? Est-ce toujours bien opportun de pardonner ?
Cela peut surprendre, car il est bien évident que de se sentir en paix est bien plus confortable que d’être habité par la colère. Et sur ce point, je suis d’accord.
En réalité, je ne suis pas contre l’idée de pardonner, bien au contraire. En revanche, je suis à la recherche du pardon sincère, et ça, c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. Car pardonner, c’est bien plus que prononcer un simple mot.
Imaginez la scène suivante : au cours d’une soirée entre amis, deux enfants se retrouvent et jouent ensemble. Le fils des invités, Killian, est particulièrement remuant. Il est brutal, déballe tous les jouets en ne prenant aucun soin. Aucun des adultes présents ne réagit. L’autre enfant, Tristan, essaie de le calmer, lui demande d’être plus respectueux de ses affaires. Sans succès, il essaie d’attirer l’attention de ses parents, mais rien n’y fait.
Ce qui devait arriver arrive : Killian finit par casser un jouet, et pas de chance, c’est un jouet auquel Tristan tenait particulièrement. S’ensuivent des larmes, et beaucoup de colère contre Killian.
Bien sûr, les parents de Killian lui demandent de s’excuser auprès de Tristan.
Est-il juste à ce moment-là pour Tristan de pardonner ?
Bien sûr que Tristan est rempli de colère, et j’ai envie de dire, à juste titre.
Killian présente des excuses, même si en réalité, ce n’est pas tant parce qu’il est désolé. Il le fait parce que ses parents le lui demandent. Et vu qu’il a déjà fait une bêtise, il n’a pas envie d’aggraver son cas s’il désobéit. Mais au fond, il pense que Tristan est ridicule de se mettre dans un état pareil pour un vieux jouet sans intérêt à ses yeux.
De la même manière, certaines personnes demandent pardon pour être absoutes. Dans un objectif purement égoïste, elles attendent de la personne qu’elles ont blessée qu’elle accepte d’effacer l’ardoise.
Ou pire, elles s’excusent en justifiant leurs actes. Parfois même, elles le font en rejetant la responsabilité sur l’autre.
A-t-on envie de pardonner à quelqu’un qui ne montre aucun remords sincère ?
Qui plus est, quand on est encore sous le coup de la tristesse d’être contraint de renoncer à un objet auquel on tenait, c’est difficile. Pardonner à Killian ne rendra pas son jouet à Tristan. Il y a une étape préalable au pardon : accepter et digérer cet état de fait, faire le deuil de ce que l’on a perdu.
Et sur ce point, Tristan n’a pas besoin qu’on lui dise que c’était un vieux jouet, que ça n’a donc pas tant d’importance. Il a avant tout besoin que l’on comprenne que là, à cet instant, il est triste. Ce qui lui fera du bien est que l’on ait de la compassion pour lui. Seulement après nous pourrons lui proposer des solutions pour atténuer son chagrin. On pourra lui proposer de le réparer, ou d’en acheter un autre pour le remplacer.
Et puis, revenons à la colère. Contre qui est-il en colère ? Killian, oui, bien sûr. Mais Killian est-il seul responsable de ce qui vient de se passer ?
Si on reprend les faits, on peut se dire que ce qui s’est produit était prévisible. Il aurait donc été possible de l’empêcher si les adultes étaient intervenus, que ce soit les parents de Killian ou ceux de Tristan. Tristan n’est peut-être pas très conscient de sa colère contre les adultes, mais elle est là.
Donc pardonner à Killian ne suffira pas pour qu’il se sente en paix, il restera un fond de colère en lui car une partie de lui se souviendra bien d’avoir tenté d’interpeller ses parents pour qu’ils lui viennent en aide, et d’avoir constaté leur indifférence.
La démarche du pardon est la même au cours d’une psychothérapie. Prononcer le mot magique ne sert pas à grand-chose. Il est nécessaire d’avoir au préalable identifié ce qui nous a réellement blessé. Il sera indispensable d’avoir saisi toutes les responsabilités en présence. Et nous aurons à faire le deuil de ce que l’on a perdu ou que l’on n’a pas eu. La blessure devra être cicatrisée pour pouvoir envisager une autre issue. Et là seulement nous pourrons pardonner.
Vouloir pardonner sans avoir validé tous ces éléments n’est pas un avancement, au contraire.
J’ai eu l’occasion de le vérifier avec une cliente. J’avais commencé de travailler avec elle récemment. Elle arriva un jour à mon cabinet en me racontant qu’elle était allée voir une praticienne en bien-être. Lors de leur première entrevue, elle lui avait fait faire un exercice. Elle devait placer ses mains sur son cœur, visualiser ses parents et dire à haute voix qu’elle leur pardonnait. Et elle me raconta tout cela en me disant « ça m’a fait du bien, je me sentais plus légère après ».
Dans quelle mesure sommes-nous en mesure d’offrir un pardon sincère ? Est-ce toujours bien opportun de pardonner ?
Je suis pourtant optimiste de nature, mais là, je l’avoue, j’étais dépitée. Mon réflexe a été de me dire que cette intervention allait plus retarder ma cliente dans son évolution qu’autre chose.
Il était évident que ce pardon sonnait faux, qu’il avait induit un état de bien-être biaisé, et qu’il faudrait attendre que ce soufflé retombe pour pouvoir reprendre le fil de notre travail.
Je savais bien qu’à cette époque, cette personne n’était pas encore en conscience de ses blessures réelles, des raisons profondes de sa colère contre ses parents.
D’ailleurs, je ne sais même pas si elle avait à ce moment conscience d’avoir cette colère en elle. Et je sais aussi que ce n’est pas possible qu’en une seule séance cette praticienne ait pu identifier toutes les blessures.
D’ailleurs elle lui proposait de pardonner à ses parents, mais sans préciser ce qu’elle devait pardonner… Ce n’était pas un pardon ciblé, mais un chèque en blanc !
Il manquait des étapes fondamentales :
Ça n’a pas manqué, quelques semaines plus tard, les émotions revenaient en force : tristesse, angoisses, colère.
Alors, bien sûr, ça a pris plus d’une séance pour aborder tous les éléments nécessaires pour qu’elle puisse faire ce chemin. Mais au bout de quelques mois, elle a pu ressentir cette merveilleuse énergie du pardon réel et sincère en elle.
Il en irait de même pour quelqu’un qui souhaite se faire pardonner. Obtenir un pardon sincère suppose une démarche tout aussi sincère. La première étape est de reconnaître le mal infligé, sans le minimiser ni le justifier. La seconde étape est d’accueillir les émotions de la personne lésée, sans chercher à les occulter.
Dit autrement, il s’agit d’accepter de prendre la charge liée à l’évènement, sans se défiler.
Et seulement après, il est possible de proposer des actes de réparation, mais pas avant.
Ce que je retiens, c’est que ce n’est pas le pardon qui amène le bien-être, mais la paix intérieure qui mène naturellement au pardon.