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Mettre en place un cadre thérapeutique solide

Ce que vous allez découvrir

Petit mot d’introduction

Combien de fois ai-je entendu des collègues se plaindre de clients qui annulent à la dernière minute, qui débordent systématiquement sur le temps de séance, ou qui peinent à s’engager dans le processus thérapeutique ? La plupart du temps, ces difficultés ont une source commune : un cadre thérapeutique insuffisamment établi.

Je me souviens de mes débuts comme psychopraticienne. Par crainte de paraître trop rigide ou de perdre des clients, j’avais tendance à être « accommodante ».

Résultat ? Des séances qui s’éternisaient, des frontières relationnelles parfois confuses, et une énergie qui s’éparpillait. J’ai appris à mes dépens que sans cadre solide, la thérapie perd en puissance et en efficacité.

L’importance d’un cadre bien défini

Pourquoi le cadre est-il si fondamental ?

Imaginez une rivière sans berges. Que se passe-t-il ? L’eau se disperse, stagne par endroits, et perd sa force de mouvement. Les berges ne sont pas des obstacles au flux de la rivière – elles sont ce qui lui permet d’exister en tant que rivière.

De la même façon, le cadre thérapeutique n’est pas une contrainte artificielle, mais la condition même pour que le processus thérapeutique puisse se déployer avec puissance.

Ce que le cadre apporte

Ce que j’ai observé : Les clients qui progressent le plus rapidement sont souvent ceux qui évoluent dans un cadre thérapeutique bien défini. Paradoxalement, ce sont les limites claires qui créent l’espace de liberté intérieure.

La psychologie derrière le cadre

Les 4 dimensions essentielles du cadre thérapeutique

1. Le cadre temporel : plus qu'une question d'horaires

Le temps est la première dimension du cadre. Il s’agit de définir:

  • La durée des séances – En général je conseille entre 60 et 75 minutes
  • Leur fréquence – Hebdomadaire, bimensuelle ou autre selon les besoins
  • Les modalités d’annulation – Délai, conséquences financières éventuelles
  • La perspective temporelle du travail thérapeutique (court, moyen ou long terme)

Mon conseil pratique: Soyez particulièrement vigilant sur la fin des séances. Apprendre à conclure une séance avec respect mais fermeté est un art qui s’acquiert. J’utilise souvent une phrase comme: « Nous approchons de la fin de notre temps, peut-être pouvons-nous résumer ce qui a émergé aujourd’hui? »

L’espace thérapeutique n’est pas qu’une question de décoration:

  • Un lieu stable et identifié – Même pièce, même disposition
  • Un espace protégé des intrusions – Téléphone éteint, absence d’interruptions
  • Un aménagement réfléchi – Distance entre les sièges, éclairage, acoustique
  • Une atmosphère équilibrée – Ni trop clinique, ni trop intime

 

Pour la visio: Si vous consultez à distance, ces principes s’adaptent. Demandez à votre client de s’installer dans un endroit calme et privé, et faites de même. La stabilité de la connexion fait partie du cadre!

C’est peut-être la dimension la plus subtile et pourtant la plus importante:

  • Le vouvoiement ou tutoiement – À définir consciemment, pas par défaut
  • Les contacts en dehors des séances – Quand, comment, pourquoi?
  • La posture professionnelle – Empathique mais pas « amis »
  • La gestion des cadeaux et services – Quelle politique adopter?

Ce que j’ai appris : Au début de ma pratique, je craignais qu’un cadre relationnel trop clair soit vécu comme froid. L’expérience m’a montré le contraire: les clients se sentent profondément respectés quand les frontières sont claires et explicites.

Si vous vous interrogez sur la juste distance thérapeutique, je vous recommande de lire Les qualités essentielles du psychopraticien où j’aborde cette question en détail.

Ce cadre concerne les engagements éthiques qui sous-tendent la relation:

  • La confidentialité – Ses garanties et ses limites légales
  • Le respect de l’autonomie du client
  • La transparence sur les méthodes utilisées
  • La reconnaissance de nos limites professionnelles

Mon expérience : J’explique toujours les limites légales de la confidentialité dès la première séance. Loin d’inquiéter les clients, cette clarté renforce leur confiance dans mon professionnalisme.

Les premières impressions comptent

Comment établir le cadre dès le premier contact ?

Le cadre se pose dès les premières interactions, parfois même avant la première séance:

Avant la première séance

Pendant la première séance

La première rencontre est cruciale pour établir le cadre. Je consacre toujours un temps spécifique pour:

  • Présenter ma façon de travailler
  • Expliquer les « règles du jeu » thérapeutiques
  • Clarifier mes engagements et ceux que j’attends du client
  • Répondre aux questions sur le cadre

Ma petite astuce : Préparez un document simple résumant les aspects pratiques du cadre (horaires, tarifs, annulations, etc.) que vous pourrez remettre au client. Cela officialise le cadre et évite les ambiguïtés.

Maintenir le cadre avec souplesse

Savoir être ferme tout en douceur

Un cadre n’est utile que s’il est maintenu. Mais attention, maintenir ne signifie pas rigidifier !

Les retards répétés

  • Ce que j’observe : Souvent un signe de résistance ou d’ambivalence face à la thérapie
  • Ma réponse : Je nomme le phénomène et l’explore comme matériel thérapeutique
  • Mon cadre : La séance se termine à l’heure prévue, quelle que soit l’heure d’arrivée

Les demandes de contact entre les séances

  • Ce que j’observe : Peut indiquer un besoin de réassurance ou une difficulté à contenir certaines émotions
  • Ma réponse : Je définis clairement quand et comment je suis joignable entre les séances
  • Mon cadre : En général, je réserve les échanges entre séances aux questions pratiques uniquement

Les débordements émotionnels en fin de séance

  • Ce que j’observe : Parfois une manière inconsciente de prolonger la séance
  • Ma réponse : J’accompagne la descente émotionnelle tout en respectant l’heure de fin
  • Mon cadre : Je rappelle que nous reprendrons ce travail à la prochaine séance
Fermeté vs Rigidité
Fermeté (constructive) Rigidité (contre-productive)
Maintenir les limites avec clarté Appliquer les règles mécaniquement
Expliquer le sens du cadre Imposer le cadre sans explication
S'adapter aux circonstances exceptionnelles Refuser tout ajustement
Explorer les transgressions comme matériel Sanctionner les transgressions
Être constant dans les principes Être inflexible dans les détails

Mon expérience : Il m'a fallu du temps pour comprendre que les "exceptions" que je faisais par gentillesse étaient souvent contre-thérapeutiques. J'ai appris qu'être ferme sur le cadre est un acte de bienveillance envers le processus thérapeutique lui-même.

Les erreurs classiques

Les pièges à éviter

1. Le cadre-façade

C’est un cadre qui existe sur le papier mais n’est pas incarné. Par exemple, annoncer une politique d’annulation que vous n’appliquez jamais.

> Pourquoi c’est problématique : Crée de l’incohérence et de l’insécurité. Le client ne sait pas sur quoi s’appuyer réellement.

2. Le cadre implicite

C’est un cadre que vous avez en tête mais que vous n’avez jamais clairement exprimé au client.

> Pourquoi c’est problématique : Génère des malentendus et un sentiment d’injustice quand vous finissez par l’imposer.

3. Le cadre rigide

C’est un cadre appliqué sans discernement, sans tenir compte des circonstances ou des besoins spécifiques.

> Pourquoi c’est problématique : Peut reproduire des dynamiques traumatiques d’autorité arbitraire et nuire à l’alliance thérapeutique.

4. Le cadre poreux

C’est un cadre qui change constamment, avec des exceptions qui deviennent la règle.

> Pourquoi c’est problématique : Ne remplit plus sa fonction contenante et peut activer des dynamiques relationnelles problématiques.

Ce que j'ai observé : Derrière chacune de ces erreurs se cachent souvent nos propres enjeux personnels non résolus. D'où l'importance cruciale du travail personnel et de la supervision continue

Récolter les fruits d’un bon cadre

Les bénéfices d'un cadre bien construit

Un cadre thérapeutique solide produit des effets bénéfiques tant pour le client que pour le thérapeute. Il fait partie des fondamentaux de l’accompagnement thérapeutique.

  • Sécurité psychique propice à l’exploration de contenus difficiles
  • Expérience correctrice de limites saines (particulièrement important pour les personnes ayant vécu dans des environnements aux frontières floues)
  • Modélisation d’une relation respectueuse de soi et de l’autre
  • Stabilité qui permet de traverser les moments de turbulence thérapeutique
  • Protection contre l’épuisement professionnel
  • Clarté dans son rôle et ses responsabilités
  • Espace mental préservé entre les clients
  • Satisfaction professionnelle accrue par l’efficacité du travail

Faire évoluer le cadre

Adapter le cadre : quand et comment ?

Le cadre n’est pas un carcan. Certaines situations peuvent légitimement nécessiter des adaptations :

Situations justifiant une adaptation:

  • Crises majeures dans la vie du patient
  • Besoins spécifiques liés à une condition particulière
  • Phases spécifiques du processus thérapeutique
  • Circonstances exceptionnelles (pandémie, catastrophe naturelle, etc.)

Principes pour adapter sans fragiliser:

  1. Expliciter le caractère exceptionnel de l’adaptation
  2. Limiter dans le temps quand c’est possible
  3. Réfléchir aux impacts potentiels sur la dynamique thérapeutique
  4. Consulter un superviseur dans les cas complexes

Pour finir sur une note positive

Un dernier mot d'encouragement

Mettre en place un cadre thérapeutique solide n’est pas un simple préalable administratif à la « vraie » thérapie – c’est déjà faire œuvre thérapeutique. Le cadre est à la relation thérapeutique ce que la peau est au corps: une frontière qui définit, protège et permet les échanges vitaux.

Rappelez-vous que le cadre n’est pas là pour contraindre mais pour libérer – comme le vase qui, en contenant l’eau, lui donne forme et utilité. Prenez le temps de construire consciemment votre cadre thérapeutique, de l’ajuster avec discernement, et d’observer comment il soutient et amplifie votre travail.